La question revient souvent : « Le végétarisme est-il indispensable à la pratique du bouddhisme zen ? » La réponse n’est pas simple : elle ouvre la porte au cœur même de la pratique. Bien qu’il ne soit pas une règle stricte pour tous les adeptes, le végétarisme occupe une place centrale dans le zen, notamment dans les monastères.
Le zen et l'alimentation végétale ne sont pas liés par des règles rigides. Leur lien découle de deux idées principales : la compassion (karuna) et la pleine conscience dans tout ce que nous faisons.
Nous examinerons la base éthique de la règle du « ne pas tuer » (ahimsa), l'art culinaire profond du Shojin Ryori (精進料理) et comment ces anciennes pratiques peuvent transformer l'alimentation en croissance spirituelle.
Le premier précepte
Comprendre l'Ahimsa
Le végétarisme zen repose sur le premier des cinq préceptes bouddhistes : ne pas ôter la vie. En sanskrit, ce précepte se dit ahimsa, qui signifie « non-violence ».
Cela va bien au-delà du simple fait de ne pas tuer. Cela implique de développer l'intention de ne causer aucun mal, en pensée ou en acte, à aucun être vivant.
Le Zen enseigne que toute existence est profondément liée. De ce point de vue, blesser autrui nuit à soi-même et à la vie tout entière.
De la compassion au régime
Un régime végétarien applique directement ce principe de non-nuisance au quotidien. Il met en pratique le karuna, ou compassion active.
Choisir des repas à base de plantes réduit consciemment la souffrance dans le monde. Ce choix témoigne discrètement mais avec force de notre respect pour la vie.
La compassion n'est pas passive. Le célèbre érudit zen D.T. Suzuki l'a décrite comme une manière active d'être.
Suzuki a décrit le karuna comme une force active, la « vibration sympathique d'un cœur en harmonie avec la pulsation générale de l'univers tout entier ». Un régime végétarien est un moyen d'harmoniser ce cœur.
Impact sur l'esprit
Cette connexion influence également la qualité de l'esprit. La pratique du zen vise à développer un esprit calme, clair et stable. Cela facilite la méditation assise, ou zazen.
D'un point de vue zen, un régime basé sur la violence et la souffrance animale peut perturber l'esprit et l'âme. Il crée des perturbations subtiles.
Une alimentation simple et végétale favorise la paix et la clarté mentale. Elle favorise le calme nécessaire pour approfondir la réalité.
Shojin Ryori
Qu’est-ce que Shojin Ryori ?
La philosophie zen apparaît en cuisine sous le nom de Shojin Ryori. Ce terme signifie « nourriture de dévotion » ou « nourriture qui fait progresser l'esprit ». C'est bien plus que la simple « nourriture des moines ».
Dogen Zenji, fondateur de l'école zen Soto au XIIIe siècle, en a établi les règles au Japon. Il considérait la préparation des aliments dans la cuisine du monastère (tenzo) comme une forme de méditation.
Le Shojin Ryori est strictement végétarien et souvent végétalien. Il exclut la viande et le poisson, ainsi que les « cinq racines piquantes » ou gokun (oignons, ail, oignons nouveaux, ciboulette et poireaux). Ces dernières sont réputées surexciter les sens et entraver la sérénité de l'esprit.
Les principes directeurs
L'excellence du Shojin Ryori réside dans sa philosophie d'équilibre et d'harmonie. Cet art respecte chaque ingrédient et nourrit le corps et l'esprit de manière égale grâce aux principes Gomi, Goshiki et Goho.
Chaque repas combine avec soin cinq saveurs, cinq couleurs et cinq modes de cuisson. Ainsi, les repas sont complets, beaux et équilibrés en énergie, reflétant l'harmonie de la nature.
Principe | Terme japonais | Signification et exemple |
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Les 5 saveurs | Gomi (五味) | Sucré (courge kabocha), acide (gingembre mariné), salé (sauce soja), amer (feuilles de pissenlit), umami (bouillon de champignons shiitake). |
Les 5 couleurs | Goshiki (五色) | Rouge (piment), Vert (concombre), Jaune (tofu), Noir (graines de sésame), Blanc (riz). |
Les 5 méthodes | Goho (五法) | Cru (salade), Mijoté (soupe), Grillé (aubergine), Cuisiné à la vapeur (légumes), Frit (tempura). |
Ce cadre guide plutôt qu'il ne restreint. Il encourage les cuisiniers à être attentifs et inventifs, en utilisant les ingrédients disponibles pour créer des repas qui mettent en valeur la nourriture.
L'esprit de Mottainai
Une idée clé du Shojin Ryori et de la culture japonaise est le mottainai (勿体無い). Ce mot exprime un profond regret face au gaspillage et voit de la valeur en toutes choses.
Dans la cuisine zen, le mottainai guide tout le travail. Il consiste à utiliser chaque partie d'un légume, de la racine à la feuille, sans rien jeter négligemment.
Cela témoigne d'un profond respect pour la nourriture, la terre qui l'a cultivée et l'agriculteur qui l'a récoltée. C'est de la pleine conscience concrète.
Par exemple, les feuilles extérieures dures du chou peuvent être marinées. Les pelures et les extrémités des carottes et des radis permettent de préparer un savoureux bouillon de légumes, appelé dashi. Les restes de radis sont rapidement blanchis et assaisonnés pour un autre plat.
Cet esprit transforme la cuisine d’une tâche en une pratique de gratitude et de débrouillardise.
Nuance et réalité
Pratique monastique vs. pratique laïque
Il est important de comprendre la différence entre la vie monastique et la vie quotidienne. Dans les monastères, le cadre est contrôlé. Un régime entièrement végétarien est la norme et facile à suivre.
Pour les personnes vivant dans le monde ordinaire, les choses se complexifient. Les besoins familiaux, les événements sociaux et les contextes culturels peuvent rendre le végétarisme strict difficile. Le zen privilégie la pratique de la vie réelle, et non une version idéale.
Accepter ce qui est offert
La tradition du takuhatsu, ou mendicité formelle, ajoute une dimension supplémentaire. Lorsque les moines collectent l'aumône, ils acceptent la nourriture qu'on leur donne avec un remerciement silencieux.
Dans ce cas, accepter humblement, sans exigences ni préférences, importe davantage que des règles alimentaires strictes. L'humilité prime ainsi sur la pureté alimentaire. Si quelqu'un propose un plat à base de viande, les moines l'acceptent souvent sans commentaire.
Différences régionales et historiques
L’accent mis sur le végétarisme varie selon la région et la tradition zen.
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Dans le zen japonais, le végétarisme est absolu dans les monastères. À l'extérieur, il est respecté et encouragé, mais n'est pas pratiqué par tous les adeptes.
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Dans le zen vietnamien, en particulier dans la tradition de Thich Nhat Hanh, les moines et les gens ordinaires pratiquent le végétarisme plus largement par compassion directe.
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Tout au long de l'histoire, la disponibilité de la nourriture dans différentes cultures a façonné les pratiques. Le principe fondamental demeure la non-violence, mais son application s'adapte aux circonstances.
Zen dans votre cuisine
Un état d'esprit, pas une recette
Intégrer l'esprit zen à votre alimentation ne nécessite pas de recettes complexes ni d'ingrédients étranges. Il s'agit de changer d'état d'esprit. Ceci n'est pas une recette, mais un guide pour transformer n'importe quel repas végétarien simple en une pratique de pleine conscience.
Un guide de repas conscient
Voici une approche étape par étape pour découvrir le Zen à travers les simples actes de préparation et de consommation de nourriture.
Étape 1 : La préparation - La gratitude en action
Prenez un moment pour commencer. Sentez l'eau fraîche couler sur vos mains et sur les légumes pendant que vous les lavez.
Remarquez les couleurs vives : le vert profond des épinards, l’orange vif de la patate douce. Remerciez silencieusement la terre qui a fait pousser cette nourriture, le soleil et la pluie qui l’ont nourrie, et le fermier dont le travail vous l’a apportée.
Étape 2 : La cuisson - Attention totale
Rangez votre téléphone. Éteignez la télévision. Concentrez-vous pleinement sur ce que vous faites. Écoutez votre couteau frapper rythmiquement la planche à découper.
Écoutez les légumes grésiller lorsqu'ils entrent dans la poêle chaude. Humez les arômes qui s'élèvent et se mélangent. Soyez présent à chaque action : trancher, remuer, goûter. Lorsque votre esprit s'égare, ramenez-le doucement aux sons, aux odeurs et aux sensations de la cuisine.
Étape 3 : Le service - L'esprit Oryoki à la maison
Vous n'avez pas besoin d'oryoki (trois bols emboîtés utilisés dans les monastères) pour cette étape. Disposez simplement vos aliments avec soin et intention.
Prenez le temps d'apprécier le repas que vous avez créé. Observez l'équilibre des couleurs, des formes et des textures dans l'assiette. Cette présentation soignée témoigne de votre respect pour les aliments et pour vous-même.
Étape 4 : Le repas - Les cinq réflexions
Faites une pause avant votre première bouchée. Dans les monastères zen, les chants du repas incluent des réflexions sur la nourriture. Nous pouvons utiliser une version simplifiée de cette pratique puissante. Considérez ces cinq points :
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D'où vient ce plat ? Pensez au vaste réseau – sol, soleil, hommes – qui vous a permis d'obtenir ce plat.
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Est-ce que je mérite cette nourriture ? Il ne s'agit pas de culpabilité, mais d'une humble réflexion sur vos actions et vos efforts d'aujourd'hui.
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Mon esprit est-il libéré de toute avidité ? Prévoyez de manger pour votre santé et votre bien-être, pas seulement pour satisfaire vos envies. Mangez jusqu'à satiété, pas jusqu'à être repus.
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Cet aliment est un médicament. Considérez ce repas comme un remède pour soutenir votre corps et prévenir les maladies.
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J'accepte cette nourriture pour réaliser la Voie. Reliez l'alimentation à votre objectif le plus élevé : l'illumination, la compassion ou simplement devenir une meilleure personne.
Conclusion
Le végétarisme du bouddhisme zen est moins une règle alimentaire qu'une pratique spirituelle profonde. Il offre un chemin de compassion appliquée et de pleine conscience à chaque instant.
Le principe éthique de l'ahimsa, ou « ne pas tuer », en constitue le fondement. L'art du Shojin Ryori en offre une expression belle et concrète. L'alimentation consciente transpose cette philosophie dans la vie quotidienne.
Chaque repas, qu'il soit simple ou raffiné, devient une opportunité. C'est l'occasion d'apaiser son esprit, de nourrir son corps et de se connecter plus profondément et plus sereinement au monde.