La question de la résonance
À première vue, le bouddhisme zen et le christianisme semblent aux antipodes. L'un parle de non-soi et de vacuité, tandis que l'autre se concentre sur un Dieu personnel et le salut.
Et si le silence le plus profond d'un monastère zen et la prière la plus silencieuse d'un mystique chrétien disaient la même chose ? Cette exploration examine les liens importants entre le zen et le mysticisme chrétien, avec Thomas Merton, moine trappiste, comme guide.
Nous aborderons les principales pratiques du Zazen (méditation assise) et de la Prière contemplative. Les objectifs ultimes de la découverte de la nature de Bouddha et de l'imago Dei (le divin intérieur) seront également abordés.
Cet article jette un pont. Il montre que pour ceux qui recherchent une vérité spirituelle profonde, ces deux voies offrent des perspectives complémentaires, et non contradictoires, pour dépasser l'ego et expérimenter la réalité ultime.
Concepts contemplatifs fondamentaux
Qu'est-ce que le bouddhisme zen ?
Le Zen repose sur l'expérience directe de la réalité, privilégiant la pratique aux croyances. Il s'agit davantage d'une manière de poser des questions que d'un système de croyances.
Ses principales idées incluent :
- Pratique fondamentale : Le zazen, ou méditation assise, est le principal moyen d'accéder à la pleine conscience. Il s'agit simplement de rester assis sans bouger.
- Objectif principal : Satori ou Kensho, qui signifie illumination ou découverte de sa vraie nature. Il ne s'agit pas seulement de comprendre avec l'esprit, mais de s'éveiller à la réalité.
- Concepts clés : Le chemin implique de voir à travers les illusions de l'esprit, de comprendre le « vide » de toutes choses et l'idée du « non-soi », et d'être pleinement dans le moment présent.
Qu’est-ce que le mysticisme chrétien ?
La mystique chrétienne est la « religion du cœur » du christianisme. Elle vise à connaître Dieu directement, au-delà de la simple théologie.
Ses principaux éléments sont :
- Pratique fondamentale : la prière contemplative, souvent appelée aujourd'hui prière de centrage. Elle consiste à s'asseoir en silence en présence de Dieu, au-delà des pensées, des mots et des sentiments.
- Objectif principal : Unio Mystica, ou union mystique avec Dieu. C'est à ce moment que l'âme se connecte profondément au Divin.
- Concepts clés : Elle utilise souvent la Via Negativa, ou « voie négative », qui s'approche de Dieu en abandonnant toute idée de Dieu. Elle croit en « l'étincelle divine », ou la présence de Dieu dans l'âme, et se concentre sur l'abandon, ou kénose.
Le bâtisseur de ponts : Merton
Personne ne relie ces chemins mieux que Thomas Merton. Moine catholique dévoué, il a également étudié en profondeur les traditions orientales, notamment le zen.
Merton n'y voyait aucun conflit. Il constatait que la pratique du zen pouvait rendre la vie de prière chrétienne plus profonde et plus claire.
Ses œuvres majeures, comme « Le Zen et les Oiseaux de l'Appétit », et ses entretiens avec le spécialiste du Zen, D.T. Suzuki, ont initié un dialogue important. Merton a démontré que le silence du Zen et le calme priant de la contemplation chrétienne n'étaient pas des espaces vides, mais emplis d'une présence profonde et innommée.
La pratique de la présence
Une fondation partagée
La contemplation zen et chrétienne commence par la même chose : s'arrêter. Dans notre monde agité et bruyant, les deux traditions nous invitent à rester immobiles, silencieux et à nous tourner vers l'intérieur.
Ce point commun est à la fois physique et mental. Tous deux privilégient une posture stable et droite pour apaiser le corps, ce qui contribue à apaiser l'esprit. La première étape consiste simplement à se présenter et à s'asseoir.
Méthode et intention
Bien que les fondements soient similaires, les méthodes spécifiques présentent des différences subtiles mais importantes. L'objectif des deux méthodes n'est pas de stopper les pensées, mais de modifier notre relation avec elles.
Fonctionnalité | Zazen (bouddhisme zen) | Prière contemplative (mysticisme chrétien) |
---|---|---|
Se concentrer | Shikantaza (« juste assis ») ; observer les pensées sans attachement ; conscience de la respiration. | Une « parole sacrée » ou un regard intérieur vers la présence de Dieu ; permettant à Dieu d’agir. |
Objectif des pensées | Considérer les pensées comme des événements vides et les laisser passer comme des nuages. | Revenir doucement à la parole sacrée, en abandonnant les pensées qui nous distraient de Dieu. |
Concept de « Soi » | Pour voir à travers l’illusion de l’ego séparé. | Renoncer au « faux soi » (ego) pour trouver le « vrai soi » en Christ/Dieu. |
Objectif ultime | Expérience directe de la réalité telle qu’elle est ; illumination. | Union avec Dieu ; repos dans la présence de Dieu. |
Au-delà de la technique
Il ne s'agit pas seulement d'exercices mentaux. L'esprit de ces deux pratiques est de lâcher prise et de ne pas trop en faire.
En zazen, on ne cherche pas à atteindre l'illumination. Dans la prière contemplative, on ne cherche pas à forcer une expérience divine.
Ces deux aspects sont une question d'être, et non d'agir. Ils impliquent de renoncer à nos projets et à nos objectifs pour laisser émerger une réalité plus profonde.
Le but du chemin
La graine de l'éveil
Dans le bouddhisme Mahayana, la nature de Bouddha est la croyance fondamentale selon laquelle tous les êtres ont le potentiel naturel de s’éveiller.
Ce n'est pas quelque chose d'extérieur à obtenir ou à réaliser. C'est notre nature profonde, déjà présente.
On utilise souvent cette comparaison : la nature de Bouddha est comme de l’or pur caché dans le minerai. Notre confusion, notre avidité et notre colère sont le roc et la poussière qui le cachent. La méditation ne consiste pas à créer de l’or, mais à extraire soigneusement le minerai pour révéler la pureté éclatante qui y a toujours été présente.
L'image de Dieu
La théologie chrétienne enseigne que les humains sont créés à l’Imago Dei, « l’image et la ressemblance de Dieu ».
Bien que souvent perçue comme une source de raison ou d'autorité, la tradition mystique y voit quelque chose de bien plus profond. Il s'agit d'une « étincelle divine », ou de la présence de Dieu vivant au cœur de notre âme.
C'est ce que Jésus voulait dire dans Luc 17:21 : « Le Royaume de Dieu est en vous. » Le mystique se dirige vers l'intérieur, pour trouver et rejoindre cet Esprit qui habite en nous.
Des mots différents, la même direction ?
Nous trouvons ici une similitude frappante. Les deux idées pointent vers une réalité intrinsèque et ultime, au cœur de notre être. Cette réalité est masquée par ce que le zen appelle l'ignorance et les trois poisons, et par ce que le christianisme appelle le péché originel et le faux soi.
Le chemin, dans les deux cas, est celui de la purification et de la découverte.
Thomas Merton l'a clairement perçu, soulignant que le but de la contemplation chrétienne est de réaliser le « soi christique », tandis que celui du zen est de réaliser le « non-soi ». Il a affirmé que ces deux notions ne sont pas opposées. Le « non-soi » du zen signifie se débarrasser du faux ego, ce qui est précisément ce qui est nécessaire à la réalisation du véritable « soi christique ».
La différence fondamentale demeure : le christianisme est théiste (relation avec un Dieu personnel), tandis que le zen est généralement non théiste (éveil à la nature de la réalité). Pourtant, dans les profondeurs de l’expérience mystique, où les mots et les concepts s’estompent, les praticiens affirment que ces différences deviennent moins absolues.
L'expérience partagée
La « Grande Mort » de l'Ego
Au-delà de la comparaison intellectuelle se trouve le domaine de l'expérience vécue. Dans les moments de zazen profond ou de prière contemplative intense, quelque chose d'extraordinaire se produit.
La voix constante dans votre tête, celle qui juge, planifie et s'inquiète, commence à s'apaiser. Ce n'est pas du vide, mais du soulagement. C'est le relâchement de l'emprise de l'ego.
C'est ce que les maîtres zen appellent la « grande mort » – non pas la mort physique, mais la mort du faux soi, séparé. Cela correspond au concept chrétien de kénose, ou dépouillement de soi, décrit par saint Paul, où l'on « meurt à soi-même » pour que le Christ puisse vivre en nous.
Plénitude du présent
Quand le bruit mental s'estompe, le monde prend vie. L'instant présent, généralement filtré par nos pensées et nos jugements, révèle sa réalité brute et vibrante.
La simple respiration devient profonde. Le goût du thé, le son d'une cloche, la sensation du vent : chacun devient sacré et pleinement en soi.
Il ne s'agit pas de fuir le monde, mais d'y entrer pleinement. Cette expérience de présence profonde est le résultat universel de la pratique contemplative, quelle que soit la tradition qui vous y guide.
De l'isolement à la connexion
L'ego est comme une forteresse, créant un sentiment de « moi » face au « monde ». Lorsque ses murs commencent à s'effondrer, le sentiment de solitude cède la place à un profond sentiment de connexion.
Le praticien commence à ressentir un amour et une empathie profonds et authentiques pour tous les êtres.
C'est la source de la compassion bouddhiste (Karuna) et de l'amour chrétien (Agapè). Elle ne vient pas d'une règle d'« être bon », mais de l'expérience directe que la séparation entre soi et autrui n'est pas aussi réelle qu'on le pensait.
Conclusion : Un pont
Complémentaires, pas contradictoires
Le bouddhisme zen et le mysticisme chrétien sont comme deux doigts pointés vers la même lune. Le doigt n'est pas la lune. Le chemin n'est pas la destination.
L'objectif de ce dialogue n'est pas de les fusionner en une nouvelle religion mixte. Il s'agit de voir comment les outils et les connaissances de l'un peuvent éclairer et approfondir notre engagement envers l'autre, ou envers le chemin spirituel en général.
Un chrétien peut utiliser Zazen pour apaiser son esprit et prier plus profondément. Un bouddhiste peut voir dans la vie d'un mystique chrétien un puissant exemple de compassion désintéressée.
L'invitation universelle
La véritable valeur de cette conversation réside dans son appel universel. Elle nous invite à regarder au-delà des différences superficielles qui nous divisent souvent.
Elle nous appelle à entreprendre le voyage humain le plus essentiel : le voyage intérieur.
L’invitation ultime du mysticisme zen et chrétien est de rester immobile, d’écouter et de découvrir la paix profonde et transformatrice qui se trouve juste au-delà du bruit de notre propre esprit.