Une question sans réponse
« Quel est le son d'une main qui applaudit ? »
Cette question plane, telle une énigme absurde destinée à nous embrouiller. Elle montre à quel point la plupart des Occidentaux méconnaissent ce qu'est réellement un koan zen.
Beaucoup d'entre nous pensent qu'il faut trouver une réponse intelligente. Dans le bouddhisme zen des koans, trouver une réponse n'est pas du tout le but. Le koan fonctionne davantage comme un outil chirurgical que comme un simple casse-tête.
Je souhaite vous emmener plus loin que la simple énigme superficielle. Nous explorerons ce qu'est véritablement un koan : un outil puissant qui épuise votre esprit logique, détruit la pensée du « oui/ou » et ouvre une voie directe vers la compréhension par l'expérience.
Qu'est-ce qu'un Koan ?
Commençons par le nom. Le mot kōan (公案) vient du japonais, lui-même dérivé du terme chinois gōng'àn.
Ce terme signifiait à l'origine « affaire publique » dans la Chine ancienne, comme une affaire judiciaire établissant des normes pour les jugements futurs. Les maîtres zen choisissaient ce terme avec le plus grand soin.
Dans la pratique zen, un koan est un « cas public » témoignant d'un esprit éveillé. Il enregistre un moment d'éveil à travers une question, un dialogue ou une action. Cet enregistrement devient un repère que les étudiants peuvent utiliser pour vérifier leur propre compréhension.
Ce n'est pas un sujet à débattre philosophiquement. Un koan pointe directement vers la réalité ultime en contournant les filtres de pensée que nous utilisons habituellement pour comprendre le monde.
La différence entre les koans et les énigmes est totale, et non négligeable. Leurs méthodes et leurs objectifs sont totalement différents.
Casse-tête logique / Énigme | Koan Zen |
---|---|
Objectif : trouver une réponse unique, intelligente et logique. | Objectif : Épuiser l’esprit logique pour arriver à une vision non conceptuelle ( kensho ). |
Outil : Utilise l’intellect, la raison et l’analyse. | Outil : Utilise l’être tout entier : corps, souffle et conscience. |
Résultat : un sentiment de satisfaction intellectuelle (« Je l'ai résolu ! »). | Résultat : un changement de perception ; une expérience directe et personnelle de la réalité. |
Nature : Un système fermé avec une solution définie. | La nature : un pointeur ouvert vers une réalité qui ne peut être saisie par des mots. |
Le véritable but
Pourquoi utiliser un outil conçu pour être si déroutant ? Le but est de priver de ressources la partie de notre esprit qui nous cause le plus de problèmes : notre esprit critique.
En sanskrit, on appelle cela vikalpa. Cela fonctionne comme le système d'exploitation par défaut de notre esprit. Cet esprit fonctionne en découpant constamment la réalité en paires d'opposés.
Il étiquette tout : bon ou mauvais, juste ou injuste, sacré ou ordinaire, soi ou autre, sujet ou objet.
Nous vivons toute notre vie dans ce réseau de jugements. « J'aime ce sentiment, je déteste celui-là. » « C'est moi, c'est le monde. » « C'est le succès, c'est l'échec. »
La pratique zen suggère que cette division constante est source d'anxiété et de souffrance, ce que le bouddhisme appelle dukkha. Nous nous retrouvons coincés à courir après ce que nous qualifions de « bien » et à fuir ce que nous qualifions de « mal ».
Le koan jette une clé dans cette machine.
Cela fournit à l'esprit jugeur des données qu'il ne peut pas traiter. C'est comme demander à une calculatrice : « De quelle couleur est le chiffre sept ? » Le système n'a aucun moyen de traiter la question. Il se retrouve bloqué.
Un koan est conçu pour être incompréhensible par la logique. Il illustre une situation où des concepts que nous pensons ne pas pouvoir être vrais à la fois – comme « est » et « n'est pas », ou « en mouvement » et « immobile » – sont présentés comme vrais simultanément.
Lorsque quelqu'un travaille avec un koan avec une concentration profonde, cela crée un état appelé « Grand Doute » (daigi).
Il ne s'agit pas du doute de quelqu'un qui ne croit pas. C'est un questionnement profond, énergique et dévorant. L'esprit devient une véritable cocotte-minute.
Le processus est censé être très frustrant. La personne va tourner le koan encore et encore, utilisant toute sa puissance cérébrale. Elle essaiera des réponses astucieuses, des idées philosophiques et des images poétiques.
Chaque tentative échoue. Cet échec est précisément le problème.
L'effort constant, combiné à la nature illogique du koan, conduit finalement à un épuisement mental complet. L'esprit pensant finit par abandonner. Il capitule.
Dans ce moment de lâcher prise, lorsque l'intellect agité se calme, quelque chose d'autre peut émerger. Une connaissance différente – directe, intuitive, au-delà des concepts – peut surgir.
C'est ce qu'on appelle le kensho ou le satori. C'est le moment « Aha ! » que toute la pratique vise à créer.
Comment travailler avec un Koan
Comprendre la théorie est une chose. La pratique en est une autre. Comment « travailler » concrètement avec un koan ?
Tout d'abord, il faut comprendre que nous ne réfléchissons pas au koan. Nous essayons de ne faire qu'un avec lui. Ce processus implique l'absorption, et non l'analyse.
Alors qu'un enseignant dans une tradition formelle du bouddhisme zen koan guide les détails, le processus intérieur suit un chemin général.
Tout d'abord, vous recevez le koan. Traditionnellement, un maître zen donne un koan spécifique à un élève lorsqu'il se sent prêt pour cette pratique intense.
Ensuite, vous apprenez à « maintenir » la question. Pendant la méditation assise (zazen), puis dans toutes vos activités quotidiennes, vous gardez doucement à l'esprit la question centrale du koan.
Pour le koan « Mu », la question est simplement « Mu ». Non pas « Que signifie Mu ? », mais simplement le son et la sensation de « Mu ». Pour « le son d'une main », la question est : « Quel est ce son ? »
La troisième étape consiste à vivre avec le koan. Il devient le murmure silencieux de votre quotidien. En faisant la vaisselle, en allant au travail ou en discutant avec des amis, la question vous hante.
Lorsque votre intellect essaie de résoudre ce problème — « Le son d’une main est le silence ! » ou « Mu signifie le vide ! » — vous remarquez simplement cette pensée, vous la laissez partir et vous revenez à la question brute elle-même.
C'est ici que commence l'expérience ressentie. Elle commence par la curiosité, qui se transforme rapidement en frustration croissante.
Vous vous sentez coincé contre un mur qui ne veut pas bouger. Votre esprit s'emballe, cherchant une issue, une solution, un soulagement à la pression de la question. Vous pourriez avoir une forte envie d'abandonner ou de rejeter la question comme une absurdité.
Cette lutte intense ne signifie pas que vous vous y prenez mal. Cette lutte est le chemin. La chaleur de cette friction intérieure brûle des couches de pensées.
La percée, le kensho, n'est pas une « réponse » au sens habituel du terme. C'est un changement de perspective soudain et complet. Il survient souvent non pas au prix d'un effort intense, mais dans un moment d'épuisement total, lorsque l'esprit lâche enfin prise sur le problème.
C'est comme un « pop ». La tension se dissipe non pas en une nouvelle pensée, mais en une vision directe de la réalité telle qu'elle est, sans les étiquettes que l'esprit lui a collées. C'est une expérience, pas une conclusion.
Deux Koans célèbres
Pour clarifier cela, examinons comment ce processus fonctionne avec deux koans célèbres.
Notre premier exemple est un koan de départ courant appelé « Le chien de Joshu ».
Le koan dit : Un moine demanda un jour à Maître Zhaozhou (J. Joshu) : « Un chien a-t-il la nature de Bouddha ou non ? » Zhaozhou répondit : « Mu ! »
(En chinois, « Mu » ou « Wu » signifie « non » ou « pas », mais ici, il est utilisé pour couper court au fondement même de la question.)
Le piège mental se referme immédiatement. L'enseignement bouddhiste affirme que tous les êtres possèdent la nature de Bouddha. Alors pourquoi le maître a-t-il dit « non » ? L'esprit est pris entre le oui et le non, entre l'enseignement et la parole du maître. C'est précisément le piège de la double pensée que tend le koan.
Le véritable travail n'a rien à voir avec les chiens ou les idées bouddhistes. La pratique consiste à oublier le moine, le chien et la nature de Bouddha. La pratique consiste à devenir Mu.
La personne inspire « Mu ». Elle expire « Mu ». Elle laisse le son unique « Mu » envahir toute sa conscience, chassant toutes les autres pensées. Le son « Mu » devient une épée qui coupe le flot incessant du bavardage mental jusqu'à ce que la question elle-même disparaisse.
Notre deuxième exemple est « Le son d’une main » de Hakuin.
Le koan demande : « Vous connaissez le son de deux mains qui applaudissent. Maintenant, quel est le son d'une seule main ? »
Le piège mental consiste à essayer d'imaginer un son physique qu'une main pourrait produire. Est-ce le souffle de l'air ? Le bruit du sang dans votre oreille ? Est-ce le silence ? Ce sont autant de productions intelligentes de l'esprit rationnel qui tente de résoudre ce qu'il perçoit comme un problème extérieur.
Le véritable travail consiste à comprendre que le koan ne s'interroge pas sur une perception. Il pointe directement vers celui qui perçoit. Il vous oblige à trouver la source même de l'audition, l'espace silencieux et conscient où apparaissent à la fois le son des deux mains et celui d'une seule main.
Le koan détourne complètement votre attention des objets du monde et la porte sur le sujet qui en est conscient. La « réponse » n'est pas un son, mais une reconnaissance directe de cette conscience silencieuse et toujours présente.
Un doigt pointé vers la Lune
En fin de compte, un koan n'est pas une énigme à résoudre. C'est un outil d'expérience conçu pour court-circuiter l'esprit logique et briser l'illusion d'un soi séparé.
Un dicton zen classique résume parfaitement cela : « L’enseignement est un doigt pointé vers la lune. Ne confondez pas le doigt avec la lune. »
Le koan est ce doigt.
Son but n'est pas d'être admiré, analysé ou compris intellectuellement. Sa seule fonction est de détourner votre regard du doigt lui-même – des mots et des concepts – vers la réalité directe, lumineuse et toujours présente de votre véritable nature.