La grande idée fausse
L'image moderne de la méditation est claire. On la retrouve dans les applications de bien-être, les programmes de pleine conscience en entreprise et les promesses de réduction du stress.
Nous considérons souvent la méditation comme un outil permettant d'atteindre un état de calme et de félicité. Or, dans la tradition du bouddhisme zen, cette vision passe complètement à côté de l'essentiel.
La pratique de la méditation zen peut apporter le calme, mais ce n'est jamais le but recherché. En réalité, rechercher une sensation spécifique, comme la relaxation, peut bloquer la pratique réelle.
Le véritable objectif de la méditation zen, appelée Zazen , n'est pas de se sentir mieux, mais de voir clair.
Il s'agit d'une méthode stricte et disciplinée de recherche de la vérité. Son objectif est un éveil profond appelé Kenshō (見性) : découvrir sa véritable nature.
Il ne s'agit pas ici de soulager le stress, mais de liberté.
Je vais vous expliquer ce que signifie réellement Kenshō , en quoi Zazen diffère des types de méditation populaires et comment il se compare aux autres formes de méditation.
Le but est le chemin
Au cœur du bouddhisme zen et de sa pratique méditative se trouve le Kenshō , souvent utilisé de manière interchangeable avec le Satori . Ce n'est pas une simple idée fantaisiste, mais le cœur de toute la tradition.
Pour comprendre le Zazen, il faut comprendre son objectif.
Ce que Kenshō n'est pas
Avant de définir cet éveil, il convient de dissiper certains mythes. Beaucoup pensent que l'illumination est un événement magique, ce qui crée de la confusion.
Kenshō n'est pas :
* Un état de bonheur sans fin.
* Obtenir des pouvoirs spéciaux.
* Devenir froid ou sans sentiments.
* Fuir les problèmes de la vie.
Ce ne sont que des rêves qui nous éloignent du vrai travail.
Un changement de perception
Kenshō signifie voir directement que vous et l'univers n'êtes pas séparés. Cela change complètement votre vision des choses.
Avant cette prise de conscience, nous nous sentons comme un « moi » séparé, à l'intérieur d'un corps, observant le monde. Nous nous sentons seuls, face à un monde d'objets.
L'expérience du Kenshō brise ce mur. On comprend soudain que l'observateur et ce qui est observé ne sont pas deux choses différentes.
Imaginez un poisson qui remarque enfin qu'il est dans l'eau. L'eau était toujours là, tout autour, mais le poisson ne l'a pas remarquée. Le poisson est l'eau, et l'eau est le poisson. Il n'y a pas de séparation entre eux.
Comme l'a expliqué DT Suzuki, le Satori, c'est découvrir un « monde nouveau qui a toujours existé, mais qui est caché par nos pensées divisées ». On n'y gagne rien de nouveau, on découvre simplement ce qui a toujours existé.
Pourquoi cette « vision » est centrale
Cette « vision » est si importante dans le bouddhisme zen car elle résout la racine de la souffrance humaine, ou Dukkha .
Le bouddhisme enseigne que nous souffrons parce que nous croyons en un soi distinct, solide et immuable. Cette fausse idée d'un soi distinct engendre peurs, désirs et conflits.
Nous passons notre vie à essayer de protéger et de satisfaire ce faux « moi ». Kenshō nous permet de voir à travers cette illusion.
Lorsque nous cessons de croire que nous sommes séparés, la souffrance engendrée par cette croyance disparaît également. L'objectif n'est pas de réparer le soi, mais de voir qu'il n'a jamais été vraiment séparé.
La pratique du « juste assis »
Dans l'école zen Soto, la principale voie pour parvenir à cette compréhension est Shikantaza , qui signifie « simplement s'asseoir ». C'est une méthode très simple mais très profonde, souvent interprétée à tort comme une inaction.
La Fondation
La façon dont vous vous asseyez en zazen crée le cadre de la pratique. Vous vous asseyez dans une position stable – lotus complet, demi-lotus, birmane ou sur une chaise – en vous assurant que vos genoux touchent le sol et que votre base est solide.
Gardez la colonne vertébrale droite, mais sans raideur, pour que l'énergie puisse circuler librement. Vos mains forment le « mudra cosmique » et vos yeux restent légèrement ouverts, fixant le sol à quelques mètres devant vous.
Un corps immobile n'est pas seulement esthétique. Il apaise votre esprit agité.
Votre respiration doit être naturelle, non forcée. Observez-la simplement, à l'inspiration et à l'expiration.
L'expérience intérieure
L'instruction principale de Shikantaza semble trop simple : n'essayez pas d'arrêter les pensées, mais ne les suivez pas non plus.
Vous n'essayez pas de vider votre esprit. Vous ne poursuivez pas vos pensées.
Laissez-les simplement venir, être là, et repartir sans vous impliquer. Imaginez votre esprit comme le ciel.
Les pensées, les sentiments et les sensations sont comme des nuages. Vous êtes le ciel, pas les nuages.
Ne poursuivez pas les nuages et ne les repoussez pas. Laissez-les simplement dériver tandis que vous restez vaste et serein.
La réalité de cette pratique n'est pas paisible au premier abord. Généralement, nous rencontrons d'abord notre « esprit de singe », un flot de projets, de souvenirs et de jugements.
Puis un malaise physique apparaît : le genou vous fait mal, le dos vous serre.
Vous avez vraiment envie de bouger ou de vous gratter. Après cela, vous pourriez vous sentir très ennuyé ou somnolent.
Votre esprit réclame une distraction, une échappatoire à la simple position assise. C'est la pratique.
Le travail consiste à rester assis pendant tout cela. La consigne est de rester avec son agitation, sa douleur et son ennui, sans jugement et sans bouger.
Vous ramenez votre attention, encore et encore, sur votre posture et votre respiration.
Pourquoi cette « lutte » est essentielle
C'est là que la méditation zen se distingue des pratiques de bien-être. L'inconfort n'est pas synonyme d'échec : c'est le cœur de la formation.
Au quotidien, nous réagissons instantanément à nos émotions. Si nous nous sentons mal à l'aise, nous changeons de position.
On s'ennuie, alors on cherche du divertissement. On est anxieux, alors on se distrait.
En zazen, en choisissant de ne pas réagir, nous apprenons à observer ces pulsions sans nous laisser contrôler par elles. Nous nous asseyons avec l'énergie brute de nos habitudes.
En refusant de fuir l'inconfort, nous apprenons que nous sommes plus grands que nos états temporaires. En refusant de céder à la distraction, nous privons notre esprit de ses schémas habituels.
Cette présence constante et non réactive crée le terrain à partir duquel Kenshō peut grandir.
Zen contre le reste
Pour bien comprendre le Zen, il est utile de comparer le Zazen aux autres grands styles de méditation. La différence ne réside généralement pas dans la technique elle-même, mais dans l'objectif et la philosophie sous-jacents.
Zen contre Vipassanā
La méditation Vipassanā, ou méditation de la vision intérieure, est une méthode d'investigation systématique. Les personnes observent souvent leur corps, observant attentivement les sensations et les étiquetant (« penser », « entendre », « ressentir de la douleur ») pour comprendre qu'elles ne durent pas ( Anicca ). C'est un processus actif de déconstruction des choses.
Le zazen, et plus particulièrement le shikantaza , est une question de non-action. Il n'y a ni analyse ni étiquetage. L'enseignement est d'abandonner toute technique et d'être simplement présent à ce qui est. La compréhension qui en résulte est plus globale et intuitive, et non le fruit d'une analyse étape par étape.
Méditation zen ou méditation yogique
De nombreuses formes de méditation yogique ou védique utilisent un objet de concentration spécifique pour concentrer l'esprit. Il peut s'agir d'un mantra, de l'image d'une divinité ou d'un centre énergétique (chakra). L'objectif est souvent d'atteindre des états de conscience supérieurs et une absorption profonde, appelée Samadhi , menant à l'union avec le divin.
Si la concentration ( Samadhi ) se développe également en Zazen, elle est considérée comme un outil de sagesse ( Prajna ). Le but ultime n'est pas d'atteindre un état supérieur, plus agréable, mais de percevoir la véritable nature de l'instant présent, telle qu'elle est. L'objectif est de s'éveiller à ce monde, et non de le quitter.
Tableau comparatif
Fonctionnalité | Méditation Zen (Zazen) | Méditation Vipassana | Méditation yogique/mantra |
---|---|---|---|
Objectif principal | Kenshō (Voir la vraie nature) ; Éveil direct | Aperçu des trois marques de l'existence | Samadhi (Concentration/Béatitude) ; Union avec le Divin |
Technique de base | Shikantaza (« Juste assis ») ; Ne pas faire ; Permettre | Balayage corporel ; Notation mentale/étiquetage des phénomènes | Concentration sur un seul objet (mantra, souffle, image) |
Attitude envers la pensée | Reconnaître et lâcher prise sans engagement | Observer et enquêter comme objet de méditation | Revenez doucement à l’objet, en considérant les pensées comme des distractions |
Rôle des « avantages » | La relaxation et la concentration sont des effets secondaires ; l’attachement à ces effets est un obstacle. | Comprendre l’impermanence conduit à moins de souffrance | Le calme et la béatitude sont des signes de progrès vers l'objectif |
Le paradoxe
Une confusion fréquente surgit ici. Si le but du bouddhisme zen et de la méditation n'est pas la relaxation, pourquoi une pratique sérieuse conduit-elle souvent à une paix profonde, à la clarté et à une réduction du stress ?
La réponse réside dans la compréhension de la différence entre un objectif et un effet secondaire.
Le zazen peut créer, et crée souvent, un profond bien-être. Mais ces sensations agréables surviennent naturellement lorsque l'esprit cesse de lutter contre lui-même, et non parce que nous les avons recherchées.
Voici une comparaison utile : si vous vous débattez dans l'eau, paniqué et en difficulté, vous coulerez. Si vous cessez de vous débattre, détendez votre corps et faites confiance à l'eau, vous flotterez naturellement.
L'objectif n'est pas de « flotter ». L'instruction est d'« arrêter de se débattre ». Flotter se fait naturellement.
De même, en zazen, l'objectif n'est pas de « trouver le calme ». L'instruction est de « cesser le tourbillon mental » – la poursuite constante des bons sentiments et la fuite des mauvais. Le calme s'installe naturellement lorsque la lutte cesse.
Rechercher le calme comme objectif n'est qu'une autre forme de frénésie mentale. C'est pourquoi les maîtres zen mettent en garde contre le « contournement spirituel », où des techniques spirituelles sont utilisées pour éviter les problèmes émotionnels difficiles au profit d'une prétendue illumination. Le zen est l'inverse : il consiste à affronter toute chose directement, sans détourner le regard.
Choisir un chemin
En fin de compte, le chemin vers la méditation commence par la connaissance de son intention. La voie du zen n'est pas supérieure aux autres traditions contemplatives, mais elle est nettement différente.
La différence fondamentale peut être résumée simplement : la plupart des formes de méditation populaires visent à modifier votre état d'esprit , vous aidant à vous sentir plus détendu, concentré ou apaisé. La méditation du bouddhisme zen vise à modifier votre perception de qui vous êtes .
La valeur de toute pratique dépend entièrement de ce que vous voulez.
Si vous souhaitez principalement gérer l’anxiété, améliorer votre concentration au travail ou trouver un moment de paix dans une journée chargée, une pratique laïque de pleine conscience ou de mantra peut être plus directe et plus adaptée.
Cependant, si vous souhaitez une enquête profonde, radicale et honnête sur la nature fondamentale de l’existence, du soi et de la souffrance, alors la voie du Zen et la pratique rigoureuse du Zazen offrent une méthode profonde et éprouvée par le temps.
Le voyage ne commence pas par la recherche de la technique parfaite, mais par la question honnête : que recherche-je vraiment ?