Introduction : La peur inexprimée
La peur universelle de la fin
Dans notre culture, la mort est le grand non-dit. Nous la repoussons. Elle est traitée comme un échec plutôt que comme un aspect naturel de la vie.
Cette dissimulation engendre une profonde anxiété : la peur de ne rien avoir, de tout perdre, de l’inconnu qui nous attend tous. Tout au long de notre vie, nous construisons notre identité, pour finalement affronter l’angoissante pensée que tout cela va disparaître.
La proposition zen
Le bouddhisme zen nous montre une autre voie. Il regarde la mort en face et nous révèle une chose surprenante : la mort elle-même n'est pas le problème. Notre souffrance vient de notre attachement trop fort à une idée fixe de qui nous sommes.
L'enseignement principal du Zen à ce sujet est à la fois profond et facile à comprendre. La meilleure façon de se préparer à la mort est d'apprendre à vivre pleinement dès maintenant. Bien vivre et bien mourir sont les deux faces d'une même médaille.
Fondation de la sagesse zen
Anicca : la vie comme flux
La première idée clé est Anicca, ou changement. Rien ne reste inchangé. Tout dans le monde, des étoiles aux pensées, change constamment.
La vie n'est pas un château solide qu'il faut protéger. Elle coule comme une rivière, et nous en faisons partie. Lutter contre ce courant engendre la souffrance. Le comprendre apporte la paix.
La vie et la mort ne sont pas des événements opposés. Elles fonctionnent comme l'inspiration et l'expiration : deux parties d'un même processus. L'une ne va pas sans l'autre.
Les cinq souvenirs
Cette vérité transparaît dans un puissant enseignement bouddhiste appelé Les Cinq Souvenirs. Ils constituent un véritable réveil quotidien à la réalité.
- Je suis fait pour vieillir. Il n'y a aucun moyen d'y échapper.
- Je suis par nature en mauvaise santé. Il n'y a aucun moyen d'y échapper.
- Je suis fait pour mourir. Il n'y a aucun moyen d'échapper à la mort.
- Tout ce qui m'est cher et tous ceux que j'aime sont susceptibles de changer. Impossible d'échapper à la séparation.
- Mes actes sont mes seuls biens véritables. Je ne peux échapper aux conséquences de mes actes. J'en suis le propriétaire.
Ces œuvres ne sont pas destinées à vous rendre triste. Elles nous libèrent en révélant la réalité. Les Cinq Souvenirs brisent le déni et nous ramènent à la vie telle qu'elle est.
Anatta : La question de soi
La deuxième idée clé est Anatta, ou non-soi. C'est peut-être le concept le plus difficile, mais aussi le plus libérateur du Zen.
Nous nous percevons souvent comme solides et durables, comme un PDG assis dans notre tête et donnant des ordres. Le Zen nous invite à examiner de plus près ce « je » dont nous parlons. Qu'est-ce que c'est vraiment ?
En regardant profondément, nous ne découvrons pas une chose, mais un processus. Le « soi » n'est qu'un ensemble temporaire de corps, de sentiments, de pensées et de conscience. Ces parties changent constamment.
Cela soulève une question importante : si le moi change constamment, qu'est-ce qui craint la mort exactement ? La peur ne concerne pas la perte d'une « chose », mais l'arrêt d'un processus. Voir les choses différemment est le début de la liberté.
La Grande Mort
Qu'est-ce que la « Grande Mort » ?
La pratique zen parle de la « Grande Mort ». Il ne s'agit pas de la mort physique, mais de la mort de l'ego.
C'est l'expérience puissante de lâcher prise sur le petit soi - le « moi » qui est pris dans son histoire, ses réalisations, ses peurs et sa survie.
La mort physique arrive à tout le monde. La Grande Mort est une pratique que nous pouvons pratiquer dès maintenant. Elle implique de lâcher volontairement prise sur le « je, moi et mien ».
L'ego et la peur
L'ego est à l'origine de notre peur de la mort. C'est cette part de nous qui s'accroche, qui s'identifie à notre corps, à notre nom, à notre histoire et à nos biens.
Parce que l'ego se perçoit comme distinct et durable, il perçoit la mort comme l'ennemi ultime. Son rôle est de se protéger de la fin.
En pratiquant le lâcher-prise par la méditation et la compréhension profonde, la peur de tout perdre s'estompe naturellement. Nous réalisons que nous n'avons jamais rien eu de solide au départ.
Comme le disait le maître zen Kodo Sawaki : « Mourir, c'est être libéré de tout. » C'est ce que nous offre la Grande Mort.
Deux visions de la mort
La différence entre la pensée normale et la vision zen est évidente : c'est l'écart entre vivre dans la peur et vivre dans l'ouverture.
Vision basée sur la peur (motivée par l'ego) | Perspective zen (après la « Grande Mort ») |
---|---|
La mort est une fin absolue, un échec. | La mort est une transition naturelle, une partie d’un tout. |
Mon « moi » sera anéanti. | Le « soi » n’a jamais été une chose fixe au départ. |
Je dois me battre et résister à la mort. | Je peux aborder ce moment avec ouverture et calme. |
La peur de l’avenir inconnu. | Présence profonde dans l'instant présent, connu. |
Vivre c'est se préparer
La pratique du Shikantaza
La manière la plus directe de comprendre ces vérités est la pratique. Dans le zen Soto, la pratique principale est le shikantaza, ou « simple assise ».
Nous ne nous asseyons pas pour atteindre un état particulier ou arrêter nos pensées. Nous nous asseyons pour nous familiariser avec le fonctionnement de notre esprit et de notre corps.
En vous asseyant, vous remarquerez que la peur surgit. L'enseignement n'est pas de la repousser ni d'analyser sa présence. Simplement de la percevoir clairement : « Ah, la peur est là. »
Observez-le comme vous observeriez un nuage passer dans le ciel. En ne le nourrissant pas d'histoires, vous voyez ce qu'il est vraiment. Il apparaît, reste un moment, puis s'en va. Il change, comme tout le reste.
Contemplation quotidienne
Cette pratique va au-delà de la méditation assise. Nous pouvons consacrer toute notre vie à étudier le changement.
- Le rituel du café du matin : remarquez la vapeur qui monte de votre tasse et disparaît. Sentez la chaleur dans vos mains qui s'estompe lentement. Soyez attentif au début, au milieu et à la fin de cette expérience simple et agréable.
- Observer la nature : Prenez le temps d'observer une fleur fanée, une feuille en décomposition ou le soleil couchant. Voyez la beauté du cycle de la vie dans son ensemble, et pas seulement lorsque tout est parfait. C'est la réalité.
- Contempler le souffle : Votre respiration nous enseigne la vie et la mort. Chaque inspiration est comme une naissance. Chaque expiration est comme une mort. À chaque instant, vous participez à ce cycle fondamental.
Le poème de la mort (Jisei)
Depuis des centaines d'années, les moines zen japonais écrivent un jisei, ou poème de mort, à l'approche de la fin de leur vie.
Nous pouvons utiliser cela comme un exercice de vie. N'attendez pas d'être à bout de forces pour vous demander : « Qu'est-ce qui compte le plus ? Qu'ai-je appris ? »
Si vous deviez résumer votre vie en quelques lignes, que diriez-vous ? Cet exercice élimine l'insignifiant et se concentre sur l'essentiel.
Histoires de maîtres zen
Ikkyū et le crâne
Le maître zen inhabituel Ikkyū Sōjun se promenait un jour en ville le jour du Nouvel An, un jour de fête, tenant un crâne humain sur un bâton.
Lorsqu'on lui demandait ce qu'il faisait, il rappelait qu'à chaque année qui passe, nous nous rapprochons un peu plus de cet objectif. Il ne se montrait pas pessimiste, il était honnête.
Son message était simple : ne vous détournez pas de la réalité du changement. Affrontez-la sans détour et vivez avec l’urgence et la gratitude qu’elle exige.
Les derniers mots de Hakuin
Vers la fin de sa vie, un étudiant a dit au grand maître Hakuin Ekaku combien il était merveilleux qu'un maître comme lui ne meure sûrement pas.
Hakuin le réprimanda, lui disant qu'il mourrait lui aussi, comme tout le monde. Il acceptait pleinement son rôle dans le cycle de la nature.
Ses derniers mots, rapportés comme tels, n'étaient pas de grandes déclarations, mais une question finale et pénétrante. Regardant autour de lui, il dit : « Ho ! Ho ! Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que c'est ? » C'était une dernière interrogation directe sur ce qui se passe en ce moment, le cœur de la pratique zen.
Départ de Shunryu Suzuki
Shunryu Suzuki, qui a introduit le Zen Soto en Amérique et a écrit Zen Mind, Beginner's Mind, a enseigné ses élèves en profondeur à travers son propre processus de mort.
Il acceptait sa maladie terminale avec sérénité. Il ne parlait pas d'aller dans un autre monde ni de survivre après la mort. Il se concentrait entièrement sur la poursuite de la pratique de ses élèves.
Ses dernières instructions furent simples, insistant sur le fait que ses élèves devaient continuer à méditer ensemble. Sa mort fut son dernier enseignement sur le lâcher-prise et la confiance dans le cours de la vie.
Conclusion : Accepter la vie
La leçon finale
L'approche du bouddhisme zen face à la mort n'offre pas d'histoire réconfortante ni d'échappatoire. Elle offre quelque chose de plus puissant : se libérer de la peur de la mort.
En regardant directement le changement, en pratiquant la « Grande Mort » de l’ego et en vivant avec une attention totale au présent, nous découvrons qu’il n’y a rien à craindre.
Lorsque nous cessons de lutter contre le courant de la vie, nous découvrons que nous sommes retenus par lui.
Votre vie est maintenant
La sagesse ultime du Zen sur la vie et la mort est la suivante : la préparation parfaite à la fin est la façon dont vous vivez maintenant.
La façon dont vous buvez du thé, écoutez un ami ou sentez votre respiration : telle est la pratique. L'art de bien mourir a toujours été l'art de bien vivre. Votre vie, maintenant, est la réponse complète.